Frères d'armesVladeDivac et Drazen Petrovic. Deux amis inséparables, presque frères, quela politique et la guerre ont éloigné l'un de l'autre. La mortaccidentelle de Petrovic empêchera les deux hommes de se réconcilier.Une blessure éternelle pour Divac. La chaîne ESPN retrace dans undocumentaire poignant le destin de ces deux hommes et de deuxdeux champions, stars du basket yougoslave et pionniers européens enNBA.On s'intéresse sans doute trop aux champions, pas assez aux hommes qu'ils sont réellement. Le grand mérite des films issus de
30 for 30 est de nous le rappeler.
30 for 30,c'est le nom de la série de documentaires diffusés par la chaine ESPNdepuis octobre 2009, au rythme de deux par mois, pour célébrer son 30eanniversaire. 30 films (1) d'environ 90 minutes, pour retracer troisdécennies. Le premier film de la série, consacré au transfert de WayneGretzky d'Edmonton à Los Angeles en 1988, a été diffusé en octobre2009. Le dernier est programmé pour le 11 décembre prochain.
ESPN s'est donné les moyens de bien faire les choses, en faisantappel à quelques réalisateurs confirmés d'Hollywood, comme BarryLevinson, Peter Berg ou Ron Shelton, tous des fondus de sport. Sagrande force tient dans son approche. Plutôt que de retracer desgrandes victoires, de dessiner des portraits de stars ou de revisiterdes matches célèbres,
30 for 30 s'attache à raconter deshistoires à hauteur d'hommes. Chacun de ces documentaires aborde lesport par le grand bout de la lorgnette, en s'intéressant à l'humain,non au sportif. Nous ne saurions trop vous conseiller de jeter un oeilà quelques-uns de ces films.
C'est tout particulièrement vrai du 25e opus, diffusé le mois dernier aux Etats-Unis, intitulé "
Once Brothers".L'histoire de deux amis, liés depuis l'enfance par une même passion, lebasket, et unis dès l'adolescence par un rêve commun un peu fou, celuide conquérir la NBA, à une période où les Européens n'y avaient pasleur place. Deux amis qui, par leur talent et leur travail, onttransformé ce rêve en réalité. Deux amis qui se croyaient inséparables,avant d'être éloignés l'un de l'autre par la politique, le nationalismeet la guerre. Deux amis devenus des étrangers l'un pour l'autre, ausens propre comme au sens figuré. Ces deux amis, ce sont le Serbe VladeDivac et le Croate Drazen Petrovic, les deux stars du basket yougoslaveà la fin des années 80 et au début des années 90. Arrivés la même annéeen NBA, en 1989, ils finiront par y devenir des joueurs majeurs. Despionniers.
La déchirure du drapeauMais si le film retrace le début de leur carrière (quel plaisir deles revoir en action, que ce soit avec la Yougoslavie ou en NBA, avecles Lakers, les Blazers et les Nets), il s'intéresse surtout à l'amitiébrisée entre les deux hommes. La rupture date de l'été 1990.Paradoxalement, elle a été scellée le jour de leur plus grandeconsécration sportive commune. Quelques secondes après la victoire dela Yougoslavie en finale du Mondial en Argentine, face à l'U.R.S.S.,Divac écarte un supporter entré sur le terrain avec un drapeau...croate. Il le jette par terre. "
J'aurais fait la même chose si ça avait été un drapeau serbe", explique-t-il.
Pour moi, nous étions tous Yougoslaves, seul le drapeau de la Yougoslavie avait sa place ici."Nous sommes quelques mois à peine avant le début du terrible conflitqui mènera à l'éclatement du pays. Les nationalismes s'exacerbent. Legeste de Divac, maladroit, impulsif, sera utilisé contre lui.
Quandil repart aux Etats-Unis, il pense que tout sera comme avant. QuePetrovic et lui continueront de s'appeler tous les jours pour sesoutenir mutuellement. Mais il n'y aura plus le moindre coup de fil.Petro lui tourne le dos. "
Il faut des années pour construire une amitié, il m'a fallu une seconde pour la détruire",constate-t-il. La guerre ne fera qu'éloigner encore un peu plus Divacde Petro, comme des autres stars croates que sont Toni Kukoc ou DinoRadja. Tous témoignent dans ce documentaire, dont Divac est à la foisle narrateur et le fil rouge. "
J'ai toujours été persuadé que lejour viendrait où tout ça s'arrêterait, où Drazen et moi pourrions ànouveau nous asseoir et parler. Mais ce jour n'est jamais venu",dit encore Divac. Et pour cause. Petrovic a trouvé la mort dans unaccident de voiture en juin 1993. Il avait 28 ans et venait des'affirmer comme une star naissante de la NBA. Pour Divac, la blessurene pourra donc jamais se refermer. Ce documentaire, il l'amanifestement abordé comme un exorcisme de ses regrets éternels, enmême temps qu'une occasion de rendre hommage à celui qui, dans sonesprit, reste son ami. Presque un frère.
Entre rire et larmesLe film débute chez lui, à Belgrade, en Serbie, et s'achève àZagreb, en Croatie, où Divac n'avait plus mis les pieds depuis 20 ans.Là, il perçoit encore la haine chez ceux qui le reconnaissent dans larue et lui font bien sentir qu'il sera à jamais un étranger à leursyeux. Image saisissante: tout le monde le reconnait, se retourne. Maisrares sont ceux qui viennent lui serrer la main. Certains l'insultent.Mais lui a effectué ce pèlerinage pour se recueillir sur la tombe dePetrovic, et pour rencontrer la mère et le frère de ce dernier. Aveceux, il parle du bon vieux temps. Du temps d'avant la guerre, quandPetro et lui logeaient dans la même chambre. La maman de Drazen luidemandait alors de prendre soin de son fils. "
Mais j'avais quatre ans de moins que lui", sourit Vlade. "
Oui, mais tu étais tellement plus grand",répond-elle. Ensemble, ils rient, les larmes aux yeux. Ils pleurent unfils, un frère, un ami. Ils pleurent, aussi, l'image d'un passé qu'ilsne retrouveront jamais. Celui d'un pays qui n'existe plus.
Pour Divac, ces retrouvailles, c'est une façon de renouer le fil decette amitié si forte qu'il pensait simplement avoir égarée, et qu'iln'a jamais pu retrouver. Une manière de s'apaiser. La cicatrice reste,mais la douleur s'estompe. C'est une histoire à la fois belle ettriste, à l'issue tragique. Le film, bien ficelé, bien monté, s'avèretoujours passionnant et souvent poignant. Il évoque l'itinéraire de cesdeux sportifs séparés par des raisons politiques. Pourtant, ce n'est niun film sur le sport ni un film sur la politique. C'est un film surdeux hommes, et c'est ce qui le rend si fort. Regardez-le. Il donneenvie d'aimer le sport et de croire aux hommes. Et vice-versa.
Source : Eurosport.fr